Se montrer gourmand en matière d'indemnisation est une chose, apporter la preuve de ses prétentions en est une autre. Ce n'est pas parce que la responsabilité du chirurgien-dentiste est engagée que le juge va céder aveuglément à toutes les demandes indemnitaires de la victime, surtout lorsqu'elles sont sans fondement. Focus sur le préjudice sexuel en chirurgie dentaire.
Tribunal judiciaire de Paris, 19ème Chambre, Jugement du 27 mai 2024, Répertoire général nº 22/06230
En 2016, une patiente consulte un chirurgien-dentiste libéral pour une dent douloureuse. Ce dernier dépiste une nécrose au niveau de la dent 14 (première prémolaire maxillaire droite) et débute un traitement endodontique. Au cours de ce traitement, une fausse route survient et conduit à la perforation de la racine de la dent. Le praticien obture tout de même la dent et informe la patiente de l'incident. Cette dernière, ayant perdue confiance, poursuit la prise en charge auprès d'un autre praticien.
Si le déroulé de cette prise en charge n'est pas précisé, la lecture de la décision de justice permet d'apprendre que la dent 14 a finalement été extraite par un second praticien et que la patiente s'est engagée dans une démarche contentieuse à l'encontre du chirurgien-dentiste ayant procédé au traitement endodontique.
L'expert judiciaire missionné par le juge conclut que la perforation survenue lors de la réalisation du traitement endodontique est constitutive d’une faute et en lien direct avec le dommage allégué par la patiente. Ces conclusions, qui ne sont pas discutées par les parties, motivent le juge à engager la responsabilité civile du chirurgien-dentiste. Ce dernier va ensuite évaluer les différents préjudices allégués par la patiente.
Or, cette dernière tend à surévaluer le montant de ses préjudices, sans en démontrer la réalité. Par exemple, elle sollicite la somme de 4148,48 euros au titre des Dépenses de Santé Actuelles (DSA), une somme écartée par le juge qui ne retient que la somme de 1458 euros fixée par l’expert. Au titre des Frais Divers (FD), la patiente réclame la somme de 1797,50 euros pour des frais d’assistance. Là encore, le juge relève que la patiente ne peut produire qu’une facture de 480 euros émanant de son avocat et rejette la demande. Le juge écarte enfin une tentative de la patiente de faire majorer la cotation fixée par l’expert au titre des Souffrances Endurées (SE 1,5/7).
Plus intéressant – car rarement évoqué dans les contentieux en matière de chirurgie dentaire – la victime allègue l’existence d’un préjudice sexuel né de la perte de sa première prémolaire. À ce sujet, le juge rappelle la vocation première de ce poste de préjudice, qui vise à indemniser « un préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi ; Un préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir ; Un préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer ».
Partant de cette définition, le juge considère que « C'est péremptoirement que [la patiente] affirme que sa vie sexuelle se serait arrêtée pendant deux ans à raison de l'extraction de cette dent qu'elle présente comme une amputation. Elle s'estime ainsi fondée à demander en réparation une somme de 5.000 €, ce à quoi s'opposent les défendeurs. Bien évidemment, et comme il est de coutume en l'espèce, ce chef de préjudice, évoquant une perte de libido, est purement déclaratif ». Il rejette naturellement la demande de la patiente, dont il n'hésite pas à remettre en question la crédibilité !
Le juge ne s’est donc pas montré dupe face à une demande sans fondement. L’indemnisation finale de la patiente, près de 4700 euros, devrait suffire à régler le traitement visant à remplacer la dent et les frais d’assistance (dentiste conseil et avocat).