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Jurisprudence (surtout) et billets d'humeur (peut-être)

  • Assureur dentiste

    Jurisprudence (Dentaire) 2024

    Venez comme vous êtes

    L'assureur d'un chirurgien-dentiste salarié doit-il être mis en cause en cas de contentieux intéressant les activités de ce dernier ?

    Cour d'appel de Paris, Pôle 1, Chambre 3, Arrêt du 12 mars 2024, RG n°23/12915

    Le chirurgien-dentiste salarié d'un centre de santé (préposé) est couvert par l’assurance responsabilité civile professionnelle (RCP) de son employeur (commettant) dès lors qu’il intervient dans la limite de la mission qui lui est impartie (la réalisation d’actes de prévention, de diagnostic et de soins). Ce principe d’immunité civile découle de l’arrêt Costedoat du 25 février 2000, appliqué à partir de 2004 aux médecins salariés d’établissements privés (Cass. Civ. 1re, 9 nov. 2004. La Lettre, n° 37, obs. D JACOTOT).

    Dès lors, la question de la souscription d’une assurance RCP n’a pas lieu de se poser pour les praticiens salariés. En pratique toutefois, certains praticiens font le choix de souscrire à une telle assurance, soit par précaution, soit par méconnaissance de leurs droits, soit pour des raisons pratiques car ils exercent également en secteur libéral.

    Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mars 2024, une patiente recherche la responsabilité d’un chirurgien-dentiste salarié de centre dentaire, au titre d’une prothèse qu’elle juge instable et douloureuse. Elle fait assigner le centre, son assureur (Allianz IARD), mais également le chirurgien-dentiste salarié et l’assureur de ce dernier (la MACSF) devant le juge des référés et ce, aux fins d’une expertise judiciaire visant à rechercher les causes et l’étendue des dommages dont elle se dit victime.

    Dans ce type de litige et classiquement, le juge met hors de cause le praticien salarié, considérant qu’il n’a agi que dans le cadre des limites de la mission impartie par son commettant employeur (par ex. en chirurgie dentaire : CA Riom, 2 sept. 2020, n° 18/02604). On pourrait donc légitimement s’attendre à ce que, dans le cadre du présent contentieux, le juge mettre hors de cause l’assureur du praticien salarié. Cela n’a pas été le cas.

    L’assureur du praticien salarié a donc fait appel de la décision aux fins d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a retenu sa mise en cause. Le juge d’appel a écarté cette demande, au motif que « les parties sont susceptibles de s'opposer devant le juge du fond sur les conditions de prise en charge et de réalisation des interventions pratiquées [par le chirurgien-dentiste salarié] et, le cas échéant, sur la nature de [sa] responsabilité personnelle ».

    Le juge d’appel considère ainsi que la patiente justifie d’un motif légitime d’obtenir la réalisation de l’expertise judiciaire au contradictoire de l’assureur du praticien salarié, en sa qualité. Il restera à voir, lors de l’expertise, si le praticien salarié a agi en excédant - ou non - les limites de la mission qui lui était impartie…

    Un cas de figure que je n’ai pas retrouvé à la lecture de la jurisprudence en chirurgie dentaire, mais rien n’est impossible ?

  • Complication implant dentaire justice

    Jurisprudence (Dentaire) 2024

    Tout roule ! Ou pas.

    Un contentieux en implantologie orale constitue une occasion de s’attarder sur un préjudice particulier, peu allégué en matière de soins dentaires : le préjudice d’agrément.

    Cour d'appel de Grenoble, 1ère Chambre, Arrêt du 6 février 2024, Répertoire général n° 22/03214

    En l’espèce, une patiente de 53 ans bénéficie d’un traitement implantaire de grande étendue, en vue de remédier à l’incapacité de pouvoir porter son appareil amovible. Cette incapacité résulte d’une maladie auto-immune dont souffre la patiente, le syndrome de Goujerot Sjörgen, qui entraîne une sécheresse buccale.

    À l’époque des faits (2007), son chirurgien-dentiste (libéral) lui explique le plan de traitement, lourd et complexe, comportant des greffes sous-sinusiennes, la mise en place de douze implants, de bridges et de couronnes, pour un montant total de près de 35 000 euros. S’il fait signer les devis pour la réalisation des actes, il ne fait pas signer, à la patiente, de consentement écrit.

    En fin de traitement, ponctué de diverses complications, la patient fait part de nombreuses doléances et perd confiance dans son praticien. Elle s’engage dans une démarche de réparation amiable. L’expert missionné par l’assureur conclut qu’une partie des soins réalisés ne sont pas conformes aux données acquises de la science, et qu’il existe un défaut d’information. Les conclusions de l’expert, favorables à la patiente, l’ont certainement conduit à s’engager dans une démarche contentieuse, puisqu’elle assigne au tribunal le chirurgien-dentiste et son assureur, aux fins de voir reconnaître la responsabilité du praticien et d’obtenir la liquidation des préjudices qu’elle allègue.

    En première instance, le tribunal condamne le chirurgien-dentiste (pour faute : technique et d’information) et fixe les différents préjudices. Insatisfaite de l’évaluation de certains préjudices, la demanderesse fait appel du jugement.

    Il convient de s’attarder ici sur un des préjudices allégué par la patiente, en appel : cette dernière sollicite l’indemnisation d’un préjudice d’agrément (PA), qu’elle justifie par une pratique intensive du cyclotourisme et de la course à pied. Elle affirme que les soins dentaires litigieux et ceux nécessaires à la réparation du dommage l’ont largement handicapés dans la pratique de ces activités sportives.

    Suivant la nomenclature Dintilhac, le préjudice d’agrément « vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.) ».

    Il s’agit d’un poste de préjudice extra-patrimonial permanent, c’est-à-dire, après consolidation. Avant consolidation, le préjudice d’agrément n’existe pas : il est inclus dans le déficit fonctionnel temporaire (DFT). Par contre, après consolidation, le préjudice d’agrément se distingue du déficit fonctionnel permanent (DFP) (Cass. 2ème civ., 28 mai 2009, n° 08-16.829, publié au bulletin).

    Pour que le préjudice d’agrément soit indemnisé, il faut que la victime ait pratiqué l’activité sportive ou de loisir avant l’accident. Or, le tribunal de première instance avait rejeté la demande d’indemnisation du préjudice d’agrément, au motif que la demanderesse n’apportait pas de pièces justificatives de nature à établir l’existence d’une pratique sportive avant les soins litigieux. En appel, la patiente verse au débat plusieurs pièces justificatives et notamment des attestations d’affiliation à la fédération française de cyclotourisme, entre 2003 et 2011.

    Toutefois, le juge d’appel considère que si les pièces produites illustrent une pratique intensive, elles ne justifient pas l’existence d’un préjudice permanent post-consolidation. Si les soins ont effectivement limité la pratique sportive de la patiente, cette gêne est survenue avant la consolidation de l’état de santé de la patiente. Or, l’indemnisation du préjudice d’agrément subi avant consolidation est inclus dans l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire (DFT). Ce faisant, le juge d’appel écarte tout préjudice d’agrément.

  • Complication implant dentaire centre dentaire

    Jurisprudence (Dentaire) 2024

    Tour de vis, dans le sinus !

    Dans un arrêt assez logique du Tribunal judiciaire de Paris, un centre dentaire voit sa responsabilité engagée pour une complication assez cocasse survenue au décours d'un traitement implantaire. En l'espèce, le chirurgien-dentiste salarié du centre a vissé deux implants dans le sinus ! Une maladresse fautive, assurémment.

    Tribunal judiciaire, 19ème Chambre, Paris, Jugement du 8 janvier 2024, Répertoire général nº 22/05960

    Au printemps 2016, un patient de 70 ans se rend dans un centre dentaire de la capitale, pour réaliser un traitement implantaire de grande étendue. 8 implants sont posés au maxillaire, pour un montant de 3600 euros. Insatisfait des travaux réalisés, le patient saisi le service de traitement des litiges du centre, lequel a transmis la réclamation à son assureur, la société LA MEDICALE. L'expertise amiable réalisée mais les discussions entre les parties ne permettent toutefois pas d'aboutir à un accord (transaction amiable).

    Le patient s'engage dans une action contentieuse et un expert judiciaire est mandaté par le juge (civil, puisque le centre dentaire est un établissement de santé du secteur privé). Le rapport est rendu en mai 2021 : l'expert conclu que le chirurgien-dentiste salarié du centre avait manqué à son devoir d'information, qu'il n'avait pas appliqué les bonnes pratiques recommandées en implantologie orale et qu'il avait montré une impréparation. Il a précisé les complications survenues pour les implants 14, 26 et 27 et indiqué, au surplus, que la prise en charge des complications n'avait pas été conforme aux bonnes pratiques. Il remarque notamment qu'un implant, en position de 26, a été vissé dans le sinus et que le chirurgien-dentiste, conscient de la complication, en a revissé un 2ème qui a suivi le même chemin ! Quant aux préjudices, le rapport n'a pas fixé de date de consolidation, mais évalué certains postes.

    Le juge engage la responsabilité du centre dentaire, employeur du chirurgien-dentiste qui a réalisé le traitement implantaire, au titre d'une faute technique (dans le déroulé du traitement et dans la gestion des complications) et d'un défaut d'information (absence d'information sur le risque de projection de l'implant dans le sinus). De manière intéressante, le défendeur tente de dégager toute responsabilité au titre du défaut d'information, arguant que le dommage n'a pas été causé par un risque inhérent à l'intervention mais par une faute technique. Le juge rappelle que le droit à l'information est un droit personnel, détaché des atteintes corporelles, et accessoire au droit à l'intégrité corporelle.

    Au titre du défaut d'information et du préjudice moral né de ce dernier, le juge alloue la somme de 5000 euros. Il écarte cependant la prétention du demandeur - à savoir, la reconnaissance d'une perte de chance - car ce dernier a poursuivi les soins chez le chirurgien qui avait posé les implants.

    Concernant la réparation des préjudices, il convient de rappeler que l'état du patient n'est pas consolidé.
    Une intervention en milieu hospitalier a dû être engagée pour retirer les deux implants (montant : 5310,35 euros pris en charge par l'Assurance maladie). Le juge indemnise donc, au titre des Dépenses de Santé Actuelles (DSA), l'intervention de retrait des deux implants et le remboursement de deux implants défectueux.
    Au titre des Frais Divers (FD), le demandeur réclame la prise en charge des frais d'expertise, mais est débouté, car ces derniers sont compris dans les dépends.
    En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux, le juge alloue une indemnisation au titre du Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT) (167,40 euros) et des Souffrances Endurées (SE) (3500 euros).

    En définitive, le centre dentaire et son assureur RCP sont condamnés à indemniser le patient à hauteur de près de 13 000 euros, frais de justice (et d'expertise) inclus, ainsi que la CPAM, à hauteur de 5310,35 euros plus 1000 euros de frais de justice et 1162 euros de frais de gestion. Ça pique le nez !

  • Cassation Conseil d'Etat

    Jurisprudence (Dentaire)Décembre 2023

    Sérieux ?!

    En matière de justice administrative et tel qu’énoncé par l’article L. 822-1 du Code de justice administrative, le pourvoi en cassation devant le Conseil d'État fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux. C’est sur le fondement de cet article que le pourvoi d’un patient, qui avait engagé une action à l’égard de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), n’a pas été admis par la haute juridiction.

    Conseil d'État, 5ème Chambre jugeant seule, Décision nº 470869 du 13 décembre 2023, Requête nº 23662

    En l’espèce, un patient bénéficie de soins auprès de l’unité de formation et de recherche (UFR) Garancière (Paris 7, devenue Université Paris Cité) entre 2007 et 2010. Plusieurs dents ont été extraites, quatre implants et quatre vis implantaires sont posées, ainsi qu’une prothèse implanto-portée. Le patient déménage ensuite dans le Sud-Ouest de la France, poursuivant son traitement chez un chirurgien-dentiste libéral. Rapidement, de lourdes complications surviennent, ce qui conduit le patient à rechercher la responsabilité du professionnel de santé et de l’établissement de santé.

    Sa démarche (contentieuse, devant le juge judiciaire) est toutefois compliquée par la perte du dossier médical, par l’AP-HP. L’expert judiciaire missionné ne peut apprécier l’état dentaire du patient avant sa prise en charge par le chirurgien-dentiste libéral. S’estimant lésé par la perte du dossier médical par l’AP-HP, dans sa démarche de réparation, le patient s’engage dans une procédure à l’égard de l’établissement (procédure contentieuse devant le juge administratif).

    Il soutient que la perte de son dossier médical est à l'origine d'une perte de chance d'être indemnisé du dommage qu'il a subi dès lors qu'en l'absence de ce dossier, il n'est pas parvenu à démontrer la responsabilité du professionnel libéral et d'obtenir l'indemnisation des préjudices qu'il a subis.

    En première instance et en appel, les prétentions du demandeur sont rejetées. Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, le patient demande au Conseil d'État d’annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel.

    En cassation, le juge rend une décision de non-admission, sur le fondement de l’article L. 822-1 du Code de justice administrative. Cette décision fait l'objet d'une motivation « allégée », dans la mesure où elle se borne à mentionner les moyens du pourvoi et à juger qu'aucun d'entre eux ne présente de caractère sérieux :

    « Pour demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'il attaque, M. B soutient qu'il est entaché :
    - D'erreur de droit en ce qu'il retient qu'il n'existe pas d'élément de nature à établir que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a commis de faute lors de sa prise en charge, sans tenir compte de la perte de son dossier médical ;
    - De méconnaissance de l'office du juge en ce qu'il s'abstient d'ordonner à l'AP-HP de produire les éléments du dossier médical dont elle disposait ;
    - De dénaturation des faits en ce qu'il estime qu'il n'existe pas d'élément de nature à caractériser une faute de l'AP-HP dans sa prise en charge ;
    - D'insuffisance de motivation en ce qu'il s'abstient de rechercher si la perte de son dossier médical est à l'origine d'une perte de chance de démontrer qu'une faute médicale de l'AP-HP est à l'origine de ses dommages ;
    - De dénaturation des faits en ce qu'il retient que la perte de son dossier médical au dossier ne lui a pas fait perdre une chance d'être indemnisé de ses préjudices
    Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi. ».

    Le pourvoi du patient n'est donc pas admis. C’est ainsi que se termine sa (longue et difficile) démarche visant à obtenir réparation du dommage qu’il allègue aux prises en charge successives, en secteur hospitalier et libéral.

    Pour revenir sur les aspects procéduraux, il convient de souligner que la procédure préalable d'admission des pourvois en cassation joue un rôle de filtre tout à fait déterminant, à travers le maniement de la notion de « moyen sérieux ». La catégorie recouvre, notamment, les moyens qui reposent sur une argumentation insuffisamment étayée ou encore qui se heurtent à une jurisprudence établie. En pratique, plus de 70 % des pourvois ne sont pas admis.

    La procédure préalable d’admission des pourvois en cassation a été instituée par la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif. Cette loi a créé les Cours administratives d’appel, afin d’alléger la charge du Conseil d’État. Enfin, il convient de relever que la Cour de cassation a été dotée d'un mécanisme similaire, par la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature.

  • rapport annuel ONCD ordre

    Actualités (Dentaire)Juillet 2023

    Rapport d'activité ONCD

    Chaque année, l'Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) publie son rapport d'activité annuel. Focus sur l'année 2022.

    Tout comme en 2021, le rapport s'articule en quatre grandes parties intitulées "gouvernance", "faits marquants", "chiffres clés" et "répertoire". Les deuxième et troisième parties sont les plus intéressantes à lire pour le praticien.

    En ce qui concerne les faits marquants, l'année 2022 a été riche sur le plan législatif, avec une loi d'encadrement des centres dentaires et une autre sur la création des assistantes de niveau 2. Le rapport revient également sur le dispositif anti-cadeaux dont l'application ferait défaut, tant du côté des praticiens que des industriels. Autre obligation incombant à l'Ordre, le contrôle du DPC serait renforcé. Enfin, le développement des sites universitaires de province se poursuit.

    Dans l'ensemble, les autres dossiers abordés sont des dossiers anciens, sur lesquels l'Ordre travaille avec ses partenaires et dont on ne sait pas vraiment s'ils évolueront de manière marquante dans un avenir proche : qualité de l'enseignement en Europe, violences intrafamiliales et à l'égard des professionnels, accès aux soins... Il est ainsi possible de retrouver ces thématiques dans les rapports des années précédentes.

    Quant aux chiffres clés, ils doivent s'apprécier à la lecture des anciens rapports annuels (on ne s'attardera pas ici sur les comptes). La cotisation ordinale est passée de 422€ (montant fixé depuis 2017) à 431€. Elle constitue 96% des produits de l'Ordre (près de 25 millions d'euros en 2022)

    Sur le plan de la démographie professionnelle, la profession se rajeunie de 3 ans entre 2021 et 2022. Elle est presque paritaire dans son ensemble, mais les pyramides des âges montrent une nette féminisation avant 40 ans. En dessous de 25 ans, 60% des dentistes sont des femmes. Quant à la répartition géographique, les régions sous-dotées présentent la caractéristique d'avoir un plus grand nombre de praticiens âgés et sont plus masculines. Enfin, le ratio H/F est différent suivant le mode d'exercice : l'exercice salarié est plutôt féminin, l'exercice libéral est plutôt masculin.

    En ce qui concerne le lieu de formation et la nationalité, il y a désormais autant de primo-inscrits diplômés à l'étranger (principalement UE) que de primo-inscrits nationaux. Ces deux dernières années, le nombre de primo-inscrits UE et de nationalité UE a fortement augmenté (357 en 2020, 581 en 2021, 631 en 2022). Il s'agit essentiellement de dentistes portuguais, espagnols et roumains. En 10 ans, le phénomène "Formation UE + migration intra UE" a été multiplié par un facteur 5 et la courbe ne devrait pas s'infléchir dans les années à venir. À ce sujet, l'Ordre s'assure de la maîtrise de la langue du candidat à l'inscription : 141 inscriptions ont été refusées pour défaut de maîtrise de la langue en 2022 (en léger recul par rapport à 2021).

    Enfin, les rapports annuels apportent un éclairage sur l'activité contentieuse traitée par l'Ordre. Le nombre d'affaires reçues par les différentes juridictions sont stables, les sanctions semblent légèrement en baisse. Malgré l'assouplissement de la communication, il y a moins de praticiens condamnés pour des faits de publicité que l'année passée (20 contre 44). Les condamnations pour faits de violence et de négligence augmentent (18 en 2021, 59 en 2022) tout comme les condamnations pour défaut de qualité de soins et de refus de soins.
    Quand aux doléances reçues par l'Ordre, elles restent élevées : près de 6524 doléances et 816 plaintes reçues en 2022, émanant en grande majorité des patients. Dans un cas sur 6, la doléance donne lieu à une réunion de conciliation qui aboutit favorablement (seule 9% des conciliations échouent).

  • Hôpital Public responsabilité

    Jurisprudence (Dentaire)Juillet 2023

    Varia (droit public)

    À propos d’un contentieux en implantologie orale, pour lequel un établissement public de santé a été condamné au titre de fautes commises dans la réalisation du traitement.

    Tribunal administratif, 6ème Chambre, Lille, Jugement nº 2104398 du 5 juillet 2023, Requête nº 65890

    Une patiente, qui présentait un état dentaire altéré, bénéficie d’un traitement implantaire dans un centre hospitalier. Ce traitement consiste en la pose de deux implants dentaires en secteur antérieur (incisives centrales maxillaires 11 et 21), avec temporisation par prothèse amovible. Finalement, le chirurgien-dentiste a recours à la technique d’extraction-implantation immédiate, avec greffe osseuse. Un an après la pose des implants, ces derniers ne sont pas ostéointégrés. La patiente demande une indemnisation au titre des préjudices subis lors de la prise en charge par l’établissement, au titre d’un défaut d’information et de fautes techniques.

    Le juge retient un défaut d’information, le plan de traitement ayant été modifié sans qu’elle en soit informée. En ce qui concerne les fautes techniques, le juge s’appuie sur les conclusions du rapport d’expertise : « le traitement proposé en seul temps était radiologiquement compliquée et ne permettait pas de positionner dans de bonnes conditions les deux implants et d'obtenir leur ostéointégration ». De plus, les dents antagonistes (incisives mandibulaires) ont été dévitalisées et couronnées au cours du traitement, alors qu’aucune indication n’était posée, ce qui constitue également une faute technique.

    Le juge administratif engage donc la responsabilité de l’établissement public de santé au titre des fautes techniques et non-techniques (défaut d’information) commises au cours de la prise en charge de la patiente. Il indemnise la victime à hauteur de 6200 euros (DFT 10%, SE 1,5/7 barème ONIAM, existence d’un PET) contre près de 21200 euros demandé par cette dernière. Un montant plutôt faible comparé à ce qui peut être retrouvé dans les contentieux portés devant les juridictions civiles…

  • allégorie de la justice

    Jurisprudence (Dentaire)Juin 2023

    De mal en pis

    Un chirurgien-dentiste peut-il être condamné au titre de complications survenues à l’issue d’une intervention d’un tiers visant à résoudre les complications qu’il a entraîné par sa faute ? Cette question est au cœur d’un contentieux porté devant les juridictions civiles, et qui porte sur une complication sérieuse de l’extraction de dents de sagesse maxillaire incluses : la projection de la dent dans la fosse ptérygo-maxillaire.

    Une patiente s’adresse à un chirurgien-dentiste (libéral) en vue de se faire retirer les 4 dents de sagesse. Ce dernier réussi à extraire trois dents sur quatre et laisse en place la dent de sagesse maxillaire gauche (dent n° 28). Deux ans après cette tentative d’extraction, la patiente commence à ressentir des douleurs et un scanner est réalisé : la dent de sagesse est retrouvée dans la fosse ptérygo-maxillaire gauche en arrière de l'apophyse ptérygoïde externe. Suite à de nombreux symptômes infectieux et inflammatoires, la patiente bénéficie d’une opération de Lefort I (près de 6 ans après la première intervention) à l’issue de laquelle elle présente de lourdes séquelles : anesthésie complète de l’hémi-palais gauche, de la face interne de la joue gauche et de l’hémi-langue gauche.

    La patiente saisit le juge des référés aux fins de réaliser une expertise judiciaire. Puis, à l’issue de la remise du rapport, elle saisit le tribunal aux fins de condamner le chirurgien-dentiste qui a échoué à extraire sa dent de sagesse en 2008. En première instance, le juge condamné ce praticien au titre de l’existence de fautes commises dans le suivi pré et post-chirurgical et au titre d’un manquement à son obligation d’information. Toutefois, l’indemnisation des préjudices de la victime est assez faible, de l’ordre de 1893 euros au titre d’un « préjudice de perte de chance ». Celle-ci interjette appel de cette décision.

    Il ne sera pas détaillé ici le détail des fautes reprochées au chirurgien-dentiste, bien que le juge se montre sévère à son égard (il retient notamment une faute technique dans le fait de ne pas avoir réalisé d’examen radiographique tridimensionnel, qui ne semblait toutefois pas indiqué). Il convient ici de s’intéresser à la responsabilité du praticien au titre des complications survenues à l’issue de l’intervention de son confrère chirurgien maxillo-facial.

    À ce sujet, le juge d’appel retient ici un préjudice de perte de chance, pour la victime, de ne pas avoir eu à subir une autre intervention (la récupération de la dent par le chirurgien maxillo-facial). Seconde intervention dont les conséquences dommageables (lourdes) n’étaient pas prévisibles et ne sont pas imputables au chirurgien-dentiste. Le juge évalue cette perte de chance à hauteur de 50% des préjudices subis à l’issue de l’intervention de Lefort I et fixe une mesure d’expertise complémentaire afin d’identifier l’intégralité des préjudices de la victime.

    En effet, le rapport de l’expert est critiqué par le juge en ce qui concerne l’évaluation des différents postes de préjudice et qui ne permet donc pas, à l’issue du procès en appel, de mesurer l’intégralité du préjudice de la victime. Enfin, si un défaut d’information existe, le juge d’appel considère qu’il n’a pas causé de préjudice à la victime (et ce, contrairement à la décision du premier juge).

  • Dossier médical incomplet justice

    Jurisprudence (Dentaire)Juin 2023

    Dossier clôturé

    Dans le cadre d’un contentieux portant sur la qualité des soins délivrés par un chirurgien-dentiste, le plaignant ou ses ayants-droits peuvent demander des dommages-intérêts au titre d’un dossier médical incomplet. La question est de savoir si cette demande peut aboutir favorablement. Cette problématique est abordée dans le cadre d’un arrêt récent.

    Tout patient qui recherche la responsabilité civile du chirurgien-dentiste libéral ou du centre de santé qui lui a délivré des soins doit apporter la preuve de l’existence d’une faute commise dans l’exécution du traitement. Il en est de même s’il recherche la responsabilité administrative de l’hôpital public. Pour se faire, il doit demander la transmission de son dossier médical suivant les dispositions de l’Article L. 1111-7 du Code de la santé publique.

    Toutefois, il n’est pas rare que le dossier soit perdu ou incomplet. L’auteur des présentes lignes a pu constater, en expertise, qu’un chirurgien-dentiste impliqué dans deux affaires distinctes prétextait deux motifs différents de perte du dossier médical (une attaque informatique pour la première affaire et un dégât des eaux pour la seconde). L’objet du présent article n’est pas de s’intéresser au renversement de la charge de la preuve en cas de perte du dossier médical, mais d’aborder l’incidence d’un dossier incomplet sur les prétentions de la partie demanderesse.

    En l’espèce, une patiente bénéficie d’un traitement implantaire, réalisé par un chirurgien-dentiste libéral, qui échoue rapidement. Elle s’engage dans une voie contentieuse et une expertise judiciaire est diligentée. L’expert dépose son rapport et conclut à l’existence de fautes techniques dans la réalisation du traitement : absence d’étude pré-implantaire, absence de plan de traitement, absence d’aménagement osseux et tissulaire avant la pose des implants. Un défaut d’information est également relevé puisqu’un consentement aux soins a été signé postérieurement à la pose des implants.
    À l’issue du dépôt de ce rapport, la plaignante poursuit son action en justice à l’égard du chirurgien-dentiste et de son assureur. Toutefois, elle décède en cours d’instance et ses enfants s’engagent à leur tour dans l’instance.

    En première instance, le juge engage la responsabilité du chirurgien-dentiste au titre des fautes commises dans les soins prodigués et du fait d’un défaut d’information préalable. À la lecture de la décision, on apprend également que le juge écarte une prétention peu fréquemment retrouvée, à savoir, une demande de dommages-intérêts au titre du dossier médical incomplet.
    En appel, les ayants-droits de la patiente demandent une nouvelle fois de prendre en compte cette doléance, dont ils chiffrent le préjudice à 1500 euros, au motif que « Le défaut d'organisation du dossier de [la patiente] a possiblement empêché [l’expert judiciaire] désigné, de caractériser d'autres manquements dans la prise en charge de la patiente ».

    Le juge d’appel, bien que confirmant l'engagement de la responsabilité du praticien, écarte cette prétention : « [les ayants-droits] ne démontrent pas que l’incomplétude du dossier médical de [la patiente] ait entraîné un préjudice distinct de celui qui a été réparé en raison des manquements professionnels que [l’expert judiciaire désigné], a en tout état de cause caractérisés à l'encontre [du chirurgien-dentiste incriminé]. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef ».

    Une telle décision est tout à fait logique : pour pouvoir engager la responsabilité du chirurgien-dentiste, il convient de pouvoir démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux. S’il est possible de reprocher au professionnel de santé une mauvaise tenue du dossier médical, ce comportement n’a pas entraîné de préjudice distinct de celui qui a été réparé, à savoir, le dommage corporel.
    Toutefois, il est possible de se demander si l’incomplétude du dossier médical constitue une faute en soi. Aucun texte n’impose expressément au chirurgien-dentiste la tenue d’un dossier médical, comme le rappelle un note diffusée par l’Ordre national des chirurgiens-dentistes sur
    son espace documentaire en ligne.

  • Contrat d'assurance illustration

    Doctorat en Droit de la Santé9 juin 2023

    Soutenance de thèse !

    Le vendredi 9 juin, à l’issue de ma soutenance de thèse de doctorat portant sur « Les responsabilités liées à l’implantologie orale », j’ai eu l’honneur d’être élevé au grade de docteur en droit.

    Je remercie sincèrement ma directrice de thèse, Mme Lydia Morlet-Haïdara, pour avoir dirigé ma recherche et conseillé tout au long de ces années.

    Je tiens également à remercier le Professeur David Jacotot et le Professeur Sophie HOCQUET-BERG, qui m’ont fait l’honneur d’accepter d’être rapporteurs de ce travail de thèse. Enfin, je tiens à remercier le Dr sahar Moussa-Badran (MCU-PH) et le Dr Marc Sabek, chirurgiens-dentistes et docteurs en droit qui m’ont fait l’honneur de siéger à ma soutenance.

    Un grand merci à tous mes collègues de l’Institut Droit et Santé (Inserm UMR_S 1145), pour leur soutien infaillible tout au long de ces trois années de recherche et à l’Université Paris Cité.

    Une petite pensée à tous les interlocuteurs avec qui j’ai pu échanger tout au long de ma recherche : acteurs du monde du dispositif médical dentaire, chirurgiens-dentistes impliqués dans la recherche et l’innovation en implantologie orale, experts judiciaires, CCI, d’assurance, avocats…

    J’espère que ce travail de thèse permettra, à son échelle, de mieux appréhender les problématiques de responsabilité liées à l’implantologie orale et à tous les enjeux sous-jacents : dispositifs médicaux, innovation, réparation du dommage corporel…

    Cette thèse fera l'objet d'une publication prochainement... Affaire à suivre !

  • Garantie assurance RCP loi About

    Jurisprudence (Dentaire)Mai 2023

    Un sinistre ? Ce n’est pas garanti…

    Un patient à l’état bucco-dentaire dégradé, qui consulte successivement une vingtaine de chirurgiens-dentistes. Des complications en série. Un contentieux qui traîne et un assureur qui se dégage de sa garantie à l’égard du principal professionnel incriminé. Ce joyeux cocktail illustre toute la complexité des litiges en chirurgie-dentaire, lorsque le patient n’est plus pris en charge par un unique praticien sur le long terme. L’objet de la présente analyse n’est toutefois pas de s’intéresser aux causes de la surconsommation de soins ou de l’errance thérapeutique, mais d’attirer l’attention sur les relations entre le chirurgien-dentiste libéral et son assureur responsabilité civile en cas de sinistre. Mais avant toute chose, rappel des faits.

    Cour d’appel de Rennes, 5ème chambre, arrêt du 31 mai 2023, n° 20/01325

    En l’espèce, un patient est pris en charge au début des années 2000 par le Docteur A, chirurgien-dentiste libéral, qui remplace des amalgames (« plombages ») par des couronnes et des composites. Ces soins ne sont pas adaptés et le patient consulte un autre praticien, le Docteur B, qui reprend les traitements. A la suite de complications, le patient s’adresse à deux autres praticiens, les Docteurs C et D.

    Insatisfait de ses prises en charge, le patient saisi le juge des référés du tribunal de Rennes aux fins d’expertise judiciaire. Le rapport définitif est rendu à la fin de l’année 2014. En juin 2018, le patient fait assigner devant le tribunal de Rennes le Docteur A et la CPAM d’Ille-et-Vilaine aux fins d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices. Le Docteur A, par exploit d’huissier, fait assigner son assureur responsabilité civile, aux fins de la voir condamnée à le garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge.

    Or, en première instance, le juge déclare que la garantie de la société d’assurance ne peut être mise en œuvre au titre de l’indemnisation des conséquences dommageables des actes de soins réalisés par le Docteur A, allégués par le demandeur.

    En appel, la société d’assurance invoque les dispositions de l’article L. 114-1 du Code des assurances, qui prévoit que « toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ». Ce faisant, son assuré aurait dû signaler le litige dès le début de l’action en justice du patient, en octobre 2013, et non en octobre 2018 comme il l’a fait. La prescription s’applique donc et le chirurgien-dentiste ne peut appeler en garantie son assureur pour les soins litigieux.

    Cette décision n’empêche toutefois pas le patient demandeur d’engager une action directe à l’égard de l’assureur, quand bien même une prescription biennale empêcherai la mise en œuvre de la garantie assurantielle. En effet, au visa des articles L. 114-1 et L. 124-3 du Code des assurances, l’action directe du tiers lésé (le patient) contre l’assureur de l’auteur du dommage (le chirurgien-dentiste) n’est pas soumise à la prescription biennale et se prescrit par le même délai de l’action du tiers lésé contre le responsable.
    L’état de santé du patient ayant été consolidé en décembre 2010, le patient disposait d’un délai de 10 ans à compter de cette date pour agir contre l’assureur et, dès lors, le juge a considéré comme recevable son action à l’égard de l’assureur responsabilité civile du chirurgien-dentiste.

    Si l’action du patient à l’égard de l’assureur est recevable, il convient toutefois de vérifier que les soins litigieux – qui ont eu lieu il y a près de vingt ans - sont bien couverts par la garantie de l’assureur.

    Or, les soins litigieux ont été dispensés entre 2000 et 2001 et le contrat d’assurance a été résilié en 2004, à la suite du départ en retraite du chirurgien-dentiste. Depuis la loi About du 30 décembre 2002, la garantie de l’assureur couvre « les sinistres dont la première réclamation est formulée postérieurement à cette date et moins de cinq ans après l'expiration ou la résiliation de tout ou partie des garanties, si ces sinistres sont imputables aux activités garanties à la date d'expiration ou de résiliation et s'ils résultent d'un fait générateur survenu pendant la période de validité du contrat ». Ce faisant, le patient pouvait rechercher la garantie de l’assureur du Docteur A avant le 29 octobre 2013, 5 ans jour pour jour après la résiliation du contrat.

    Pour conclure, si le patient peut agir à l’encontre de l’assureur responsabilité civile du chirurgien-dentiste en l’absence de déclaration de sinistre de sa part, dans un délai de 2 ans, la garantie de l’assureur n’est pas automatique et s’inscrit, notamment, dans le cadre des dispositions de la loi About du 30 décembre 2002.

    Si le juge clôt l’affaire sur son volet assurantiel, le demandeur peut tout de même rechercher la responsabilité du Docteur A au titre des soins litigieux.

    A ce sujet, le Docteur A, défendeur, se défend en critiquant le déroulé de l’expertise, le contenu de l’expertise et l’impartialité de l’expert. Il signale également que le patient a consulté 26 praticiens, qui auraient commis un grand nombre d’erreurs : perforation de dents, traitement incomplet, création d’une communication bucco-sinusienne, instrument cassé dans une dent, extraction de la mauvaise dent, ostéite provoquée par une extraction…

    A défaut de démonstration de l’existence d’une faute de la part du Docteur A et d’un lien de causalité entre les soins qu’il a prodigué et les dommages relevés par l’expert, le patient se voit débouter de sa demande au titre de la responsabilité médicale du Docteur A. Clap de fin, 20 ans après les soins litigieux et les nombreuses complications.

  • Service d'urgences hôpital illustration

    Jurisprudence (Dentaire)Mai 2023

    C'est gonflé !

    Un contentieux portant sur des complications post-opératoires particulièrement lourdes, à l'issue d'une extraction de dent de sagesse, constitue une occasion, pour le juge administratif, de rappeler les règles en matière de fautes successives commises à la fois par un professionnel de santé libéral et l'hôpital public.

    Cour administrative d’appel de Paris, arrêt n° 19PA04257 du 24 mai 2023, requête n° 23161

    Fin 2015, un patient « subi » (ce sont les termes de l’arrêt) une extraction de sa dent de sagesse inférieure gauche (dent n° 38) par son chirurgien-dentiste traitant, exerçant en libéral. Cette extraction se fait sans antibiothérapie associée. Si cette prémédication, pour les extractions de dents de sagesses, n’est pas systématique, elle semblait toutefois nécessaire dans le cas présent.

    Le lendemain, le patient présente de vives douleurs et se présente aux urgences de l’hôpital Cochin (AP-HP, établissement public de santé). Le médecin, qui diagnostique un contexte infectieux, lui prescrit une antibiothérapie. Ce traitement apparaît tout à fait adapté dans ce contexte. Une semaine plus tard, l’état de santé du patient se dégrade encore et à l’issue d’une admission à l’hôpital Lariboisière de Paris (AP-HP, établissement public de santé), il « subi en urgence » (pour conserver les termes de l’arrêt) une intervention chirurgicale particulièrement lourde qui lui laissera d’importantes cicatrices. Il rentre à son domicile trois semaines plus tard et reprend une activité professionnelle 3 mois après son extraction dentaire.

    Ce patient s’engage dans une démarche contentieuse à visée indemnitaire (il cherche à engager la responsabilité administrative de l’AP-HP aux fins d’obtenir une indemnisation de ses préjudices). Le juge missionne un expert qui dépose son rapport en avril 2017, puis un rapport d’expertise complémentaire fin 2020. Un énième complément d’expertise est demandé et ce dernier est déposé près de 7 ans jour pour jour après l’intervention chirurgicale d’urgence.

    En première instance, le juge administratif retient la faute de l’établissement public de santé (l’AP-HP) au titre d’une erreur diagnostic du médecin du service d’urgence de l’hôpital Cochin. En renvoyant le patient à son domicile, ce médecin n’a pas pris la mesure de l’urgence de la situation gravissime et potentiellement mortelle dans laquelle se trouvait le patient, du fait de sa complication, même si l’absence d’antibiothérapie prescrite par le chirurgien-dentiste libéral constituait également une faute. On observe ici que l’absence de prémédication à l’acte chirurgical d’extraction de la dent de sagesse n°38 constitue donc une faute commise par le chirurgien-dentiste libéral, faute qui sera à l’origine de la lourde complication subie par le patient. La problématique de la faute successive commise par des personnes différentes est donc soulevée ici.

    Dans son arrêt, la Cour administrative d’appel de Paris rappelle la jurisprudence en vigueur en matière de fautes successives commises par des personnes différentes (voir CE, 20 janvier 2023, n° 468190) :

    « lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux. »

    La victime a fait le choix ici de chercher la réparation de ses préjudices auprès d’une seule personne (morale), l’AP-HP, devant le juge administratif. Elle n’a pas engagé à ce stade d’action à l’égard du chirurgien-dentiste libéral devant le juge civil. A l’issue de la procédure, si la victime obtient la condamnation d’un des coauteurs, elle ne pourra pas chercher la condamnation de l’autre (ici, le chirurgien-dentiste libéral), dans la mesure où son préjudice aura déjà été indemnisé intégralement. Le coauteur condamné pourra, quant à lui, solliciter le second coauteur afin qu'il le rembourse à hauteur de sa part de responsabilité dans le dommage, en vertu d'une action récursoire. Cette action récursoire n'est plus alors l'affaire de la victime.

    Dans le cas présent, le juge administratif retient que la faute commise par l’établissement public de santé a entraîné un préjudice de perte de chance, pour l’intéressé, d’échapper à une aggravation de son état de santé. Il fixe le taux de perte de chance à 90%.

    Les préjudices indemnisés seront évoqués ici de manière succincte : frais d’hospitalisation versés à la CPAM de Paris (53 000 euros d’indemnisation), perte de gains professionnels versés à la CPAM (près de 3000 euros), DFT (1042 euros), SE (3/7 x 90%, 7425 euros), PET (4/7 x 90%, 2700 euros), DFP (2700 euros), PE (5400 euros).

    Fait intéressant, le patient évoque un préjudice d’angoisse distinct du préjudice de souffrances endurées, au motif que depuis l’hospitalisation, il souffre « d’une grande souffrance psychologique se caractérisant par un état dépressif, une perte de confiance en soi, une peur irrationnelle du dentiste et une perte de confiance dans le système médical ». Le juge écarte cette demande au motif que ce préjudice est déjà indemnisé au titre des souffrances endurées, « qui couvrent les souffrances morales, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice esthétique ».

    A l’issue d’une procédure longue – près de 7 ans et demi après la survenue du dommage – la victime voit aboutir sa démarche à visée de réparation. Il restera à l’établissement public de santé d’engager, ou non, une action récursoire à l’égard du chirurgien-dentiste libéral et de son assureur.

  • Contrat d'assurance illustration

    Jurisprudence (Dentaire)Mai 2023

    Du blabla et des tracas

    Dans le cadre d’un contentieux en implantologie orale, l’assureur responsabilité civile d’un chirurgien-dentiste libéral, condamné à payer à une patiente la somme provisionnelle de 21180 euros à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, a tenté de s’exonérer de sa garantie. Sa démarche, originale dans le champ d’étude de la responsabilité du chirurgien-dentiste, n’a toutefois pas aboutie.

    Cour d’appel de Paris, Pôle 1, chambre 3, arrêt du 17 mai 2023, n° 22/07903

    Une patiente de 38 ans bénéficie, entre 2019 et 2020, d’un certain nombre d’extractions de la part d’un chirurgien-dentiste libéral. Ce dernier extrait notamment les dents 16, 26, 36 et 46 (premières molaires) qu’il remplace par des implants dentaire en zircone. En juin 2020, la patiente consulte un autre praticien qui lui indique que le traitement dont elle a bénéficié doit être intégralement repris. Cette dernière s’engage dans une procédure contentieuse.

    Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris fait droit à sa demande d’expertise. Un rapport est déposé et la patiente fait assigner le chirurgien-dentiste ayant posé les implants et son assureur responsabilité civile aux fins de les condamner à lui verser une provision à valoir sur son l’indemnisation définitive de son préjudice. Le juge des référés condamne le praticien et son assureur à payer à la patiente la somme provisionnelle de 21180 euros.

    L’assureur (en trois lettres...) fait appel de cette décision, au motif que l’assuré aurait commis, selon les dires de l’expert, des actes « qualifiés de manière constante par la jurisprudence ordinale comme pénale [d’] inutiles et mutilants et en conséquence prohibés ». Ce faisant, les extractions commises par le chirurgien-dentiste constitueraient des fautes intentionnelles et des fautes dolosives au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, justifiant ainsi une exclusion de garantie en application du contrat souscrit auprès des concluantes.

    Si l’expert judiciaire retient de multiples manquements professionnels et la réalisation de soins non conformes aux données acquises de la science, le juge rappelle que les actes pratiqués avaient une visée thérapeutique et donc, ne révèlent pas une volonté du praticien de causer les dommages tels qu’ils sont survenus. Dès lors, la faute visée à l’article L. 113-1 du Code des assurances ne s’applique pas ici.

    La contestation soulevée par les assureurs ne présente pas un caractère suffisamment sérieux pour mettre en échec l’exécution d’obligation qu’ils ont souscrite d’indemniser la patiente de son assuré. "Appelez-moi le directeur !".

  • Bris Dentaire

    Jurisprudence (Bris dentaire)Mars 2023

    Ça casse mais ça passe

    En anesthésie générale, les dommages dentaires liés à l’intubation ("bris dentaires") ne sont pas rares et peuvent faire l’objet de contentieux entre les patients et l’établissement de santé (privé ou public). Un arrêt du tribunal administratif de Bordeaux du 21 mars 2023 illustre parfaitement cette problématique et son traitement par le juge administratif.

    Tribunal administratif, 5ème Chambre, Bordeaux, Jugement nº 2100991 du 21 mars 2023, Requête nº 34155

    En l’espèce, un patient bénéficie en mars 2018 d’une prise en charge sous anesthésie générale pour un traitement de la prostate, au sein d’un établissement public de santé (CHU de Bordeaux). A l'occasion de cette anesthésie, son incisive supérieure gauche (dent n°21) s'est déchaussée. Une expertise médicale est ordonnée par le tribunal administratif et à son issue, le patient sollicite l'indemnisation de ses préjudices auprès de l’établissement de santé. Du fait du silence gardé par celui-ci naît une décision implicite de rejet.

    Dans un premier temps, le juge administratif rappelle la position des juridictions administratives sur la question des conséquences dommageables liées à l’intubation en anesthésie générale : « l'intubation d'un patient en vue d'une anesthésie générale ne peut être regardée comme un geste courant à caractère bénin dont les conséquences dommageables, lorsqu'elles sont sans rapport avec l'état initial du patient, seraient présumées révéler une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ».

    Le juge administratif rapporte en tous points les conclusions de l’expert : le dommage dentaire est essentiellement lié à l’utilisation inadaptée d’une lame de laryngoscope de petite taille, dans un contexte d’intubation difficile (visibilité de grade Cormack 3/4, recours à un mandrin d’Eschmann) mais en dehors de tout contexte d’urgence vitale. Selon l’expert, l’absence d'hypoxie per-opératoire rendait possible le recours à un masque facial.
    Ce faisant, l’anesthésiste “n’a pas agi selon les règles de l’art”, alors qu'existaient des facteurs de risque de traumatisme dentaire (intubation difficile, patient âgé présentant une dentition fragile). Sur le fondement des conclusions de l’expert, le juge administratif conclut à une responsabilité pour faute de l’établissement public de santé. Il décide toutefois de ne pas statuer sur le défaut d’information invoqué par le patient, ce qui paraît regrettable puisqu’un défaut d’information peut exister indépendamment d’une faute technique et que tout défaut d’information causant préjudice doit conduire à une indemnisation.

    Sur l’indemnisation des préjudices, cet arrêt est également intéressant puisque le juge s'attarde sur un grand nombre de postes de préjudices dont les intitulés sont ceux de la nomenclature Dintilhac : dépenses de santé, frais divers (tomographie, frais de déplacements engagés), déficit fonctionnel temporaire (de 5%), souffrances endurées (0,5/7), préjudice esthétique temporaire (0,5/7). À la date de la décision de justice, soit cinq années après l’acte litigieux, l’état du patient n’est toujours pas consolidé. La dent touchée est décolorée, fragile, mais encore en place.

    Outre le montant d’indemnisation retenu (5 948,94 euros pour la victime, 324,40 euros pour la CPAM de la Charente-Maritime), le juge administratif alloue des dommages et intérêts dus à la date de réception de la demande préalable par l’établissement public de santé. L’issue de ce contentieux est donc favorable pour la victime, malgré les difficultés que cette dernière a pu rencontrer dans la mise en oeuvre de sa démarche visant à obtenir réparation de son dommage (demande d’expertise acceptée par le juge d’appel des référés de la cour administrative d’appel, refus implicite de l’établissement de santé malgré le rapport d’expertise, absence de prise en compte d’un éventuel défaut d’information). Enfin, cinq années se sont écoulées depuis l’incident jusqu’au jour de la décision.

    Tous les contentieux en matière de traumatismes dentaires périanesthésiques ne se soldent pas de manière aussi positive pour les victimes. Cette problématique a fait l’objet, en 2022, d’une publication dans la littérature scientifique par l’auteur des présentes lignes : Diakonoff, H., De Rocquigny, G., Tourtier, J. P., & Guigon, A. (2022). Medicolegal issues of peri-anaesthetic dental injuries: A 21-years review of liability lawsuits in France. Dental traumatology: official publication of International Association for Dental Traumatology, 38(5), 391-396.

  • Jurisprudence

    Jurisprudence (Dentaire)Janvier 2023

    Préjudice de sujétion et chirurgie-dentaire

    Pour la première fois, le juge civil reconnait un "préjudice de sujétion" à la suite d'un dommage dentaire. De quoi s'agit-il ?

    Cour d'appel de Nancy, 1ère Chambre, Arrêt du 16 janvier 2023, Répertoire général nº 22/00686

    Dans un arrêt du 16 janvier 2023, la Cour d'appel de Nancy se prononce sur l'indemnisation d'un préjudice de sujétion invoqué par une patiente, à l'issue d'un traitement prothétique intéressant le secteur antérieur maxillaire. Il retient finalement un préjudice moral qu'il indemnise.

    Au cours du traitement, un implant dentaire aurait été positionné de manière inadapté en regard de l'incisive centrale supérieure gauche (dent n° 21), ce qui aurait eu une incidence négative sur l'esthétique de la patiente. Bien que le praticien ait proposé une reprise à titre gracieux des soins, la patiente s'est engagée dans une démarche à visée de réparation, d'abord amiable puis contentieuse.

    En première instance, le juge a considéré que le préjudice esthétique, bien que ne correspondant pas aux attentes légitimes de la patiente, était modéré et devait être indemnisé à hauteur de 1000 euros seulement. Il déboute la patiente de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice de sujétion, considérant que ce préjudice n'entre pas dans la liste des préjudices définis comme étant indemnisables et qu'aucun élément n'était communiqués afin de permettre d'évaluer son montant.

    En appel, le juge a toutefois considéré que la patiente a dû effectuer plusieurs visites chez le chirurgien-dentiste, subir la réalisation de deux expertises (amiable puis contentieuse), à effectuer une déclaration d'assurance et à réclamer à plusieurs reprises au défendeur la remise de son dossier médical. Malgré l'absence de pièce justificative, le juge d'appel prend en compte ces doléances et alloue à la patiente la somme de 800 euros en réparation d'un préjudice moral.

    Une telle démarche, de la part de la partie demanderesse, mérite d'y prêter attention. À l'avenir, il est possible d'imaginer que toute victime de dommage corporel survenu au décours d'activités de prévention, de diagnostic ou de soins puisse solliciter l'indemnisation d'un préjudice moral né des contraintes à s'engager dans une démarche de réparation devant les tribunaux.
    Même si dans le cas du présent contentieux, rien n'obligeait la victime à le faire, son chirurgien-dentiste lui ayant proposé la reprise du traitement à titre gracieux...

  • Implant

    Dans un arrêt de janvier 2023, le juge civil se penche sur la question de la prescription de l’action du patient en cas de dispositif médical défectueux. Fait inédit, il s’agit ici d’implantologie orale. D’après le juge civil, le délai de prescription de l’action au titre d’un produit défectueux ne peut débuter à la date de consolidation du dommage corporel né de l’utilisation ou de la fourniture du dispositif médical défectueux. Cet arrêt constitue une belle illustration des difficultés rencontrées par le patient victime d’un dispositif médical défectueux, utilisé en implantologie orale, pour obtenir réparation de son dommage.

    Cour d’appel de Nîmes, 1ère chambre, arrêt du 26 janvier 2023, Répertoire général n° 22/01909

    En l’espèce, un patient bénéficie d’un traitement implantaire unitaire visant à remplacer la dent 36 (première molaire mandibulaire gauche) entre octobre 2011 et juillet 2013. Ce traitement est réalisé au sein d’un établissement privé de santé (un centre dentaire mutualiste), par deux chirurgiens-dentistes salariés, l’un réalisant la phase chirurgicale du traitement et l’autre, la phase prothétique.

    En septembre 2015, le patient consulte en raison de la mobilité de la couronne implanto-portée. Il s’avère que le pilier implantaire (« pivot »), élément de connexion entre l’implant et la couronne, s’est fracturé à l’intérieur de l’implant, empêchant sa dépose.

    Dans un premier temps, le patient s’engage dans une démarche de réparation amiable, pour laquelle l’assureur de l’établissement de santé est sollicité. Une expertise amiable est réalisée et l’assureur propose une offre transactionnelle afin de clore le litige. Toutefois, le patient refuse l’offre et s’engage dans la voie contentieuse, devant les juridictions civiles, en septembre 2021.

    L’expert judiciaire missionné par le juge civil conclu à une défaillance dans la fabrication du pilier implantaire et donc, à une défectuosité de celui-ci. La société fabricante de l’implant et du pilier, ainsi que le laboratoire de prothèse ayant fabriqué la couronne, sont mises dans la cause par le patient.

    Ces deux sociétés ont saisi le juge de la mise en état afin de voir déclarer irrecevable l’action du patient au titre de la prescription, en vertu de l’Article 1245-16 du Code civil.

    Le juge de la mise en état a estimé qu’en l’absence de consolidation constatée par le rapport d’expertise judiciaire, l’action diligentée par le patient à l’encontre des deux sociétés ne se heurtait pas à la prescription triennale de l’article 1245-16 du Code civil. Les deux sociétés ont fait appel de cette décision.

    Pour rappel, l’action en responsabilité consécutive à un dommage causé par un produit défectueux (produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre) est encadrée dans un double délai. Un délai de dix ans (décennal) à compter de la mise en circulation du produit et un délai de trois ans (triennal) à compter du jour où la victime a eu, ou aurait dû avoir connaissance de trois éléments cumulatifs : la nature du dommage, le défaut du produit et l’identité du producteur ou assimilé.

    En appel, le juge écarte une telle approche fondée sur la consolidation. Il reprend la chronologie des faits pour retenir que le patient avait connaissance d’une défectuosité du produit et de l’identité du fabricant dès janvier 2016, lorsque l’un des praticiens de l’établissement lui a adressé une lettre lui expliquant l’existence d’une fracture de la base du pilier en titane. Ce faisant, le point de départ de l’action courait à compter de janvier 2016 et donc, était prescrite depuis janvier 2019. Le patient ne pouvait utilement se retrancher derrière la notion de consolidation ou du rapport d’expertise judiciaire rendu en mars 2021 et confirmant la défectuosité du pilier implantaire.

    Succombant à l’instance, le patient se retrouve condamné à en régler les entiers dépends, de première instance et d’appel.

    Si l’on regarde le déroulé de l’affaire, plusieurs remarques peuvent être soulevées. La première concerne l’action en réparation en elle-même. Le patient aurait dû accepter l’accord amiable proposé par l’assureur, plutôt que de s’engager dans une démarche contentieuse, longue et finalement infructueuse. Il en paye désormais les frais sur le plan financier, sans avoir pu obtenir réparation de son dommage.
    La seconde concerne l’avocat du patient. Ce dernier aurait dû mieux appréhender la procédure fondée sur le produit de santé défectueux, qui est plus complexe à mettre en œuvre qu’une procédure fondée sur une faute du professionnel ou de l’établissement de santé.
    Enfin, quand bien même l’action aurait été recevable, le producteur du produit défectueux aurait pu tenter de s’exonérer en prétextant soit une faute du laboratoire de prothèse, soit une faute de l’établissement de santé, malgré les conclusions de l’expert judiciaire (un chirurgien-dentiste). En effet, une demande de contre-expertise par un expert en matériaux, émanant du producteur et/ou du laboratoire, aurait certainement été acceptée par le juge dans ce cas de figure, le chirurgien-dentiste n’étant pas un expert en matériaux.

    Quoi qu’il en soit, le patient est le grand perdant de cette histoire. Il a subi un dommage réel, qui n’a pu être résolu cliniquement. Il a possiblement été mal conseillé par son avocat et a dû débourser des milliers d’euros dans des procédures chronophages pour, en fin de course, se retrouver dos au mur.
    « Il s’y est cassé les dents » comme dirait l’autre.

  • Jurisprudence

    L'engagement de la responsabilité civile du chirurgien-dentiste libéral repose sur la preuve d'une faute, mais également d'un lien de causalité direct avec un dommage. Illustration par un arrêt portant sur un cancer oro-facial et une couronne dento-portée.

    Cour d'appel de Grenoble, 1ère Chambre, Arrêt du 24 janvier 2023, Répertoire général nº 21/04886

    Dans un arrêt du 24 janvier 2023, la Cour d'appel de Grenoble se prononce sur la responsabilité de deux chirurgiens-dentistes dans la survenue d'un cancer particulièrement invasif.

    En l'espèce, une patiente se voit poser une couronne provisoire sur la dent 36 (première molaire mandibulaire gauche) par son chirurgien-dentiste. Ce dernier est remplacé par un autre praticien, qui poursuit les soins. Mais quatre années plus tard, un diagnostic de carcinome malpighien invasif est dépisté et la patiente subi l'ablation partielle de la langue. Entre temps, la couronne de la dent 36 a été déposé, possiblement parce qu'elle était à proximité de la lésion (l'arrêt est peu locace sur le sujet).

    Aux fins d'indemnisations, la patiente s'engage dans une procédure amiable, puis dans une procédure contentieuse. Elle affirme que la couronne de la dent 36, en sur-contour, a causé une leucoplasie (lésion pré-cancéreuse ayant par la suite dégénéré en cancer) par un phénomène d'irritation chronique. Une mesure d'expertise judiciaire est instaurée, au contradictoire des deux chirurgiens-dentistes qui ont pris en charge la patiente.

    À l'instar de l'expert sollicité à titre amiable, l'expert judiciaire conclut à l'absence de relation directe, certaine et exclusive entre les travaux des deux praticiens et l'apparition d'une leucoplasie pré-cancéreuse. Pour appuyer son raisonnement, il précise que la patiente a vu quatre autres chirurgiens-dentistes qui ont refusé de retirer la couronne incriminée, donc, que la couronne était parfaitement adaptée.

    En première instance, le juge suit les conclusions de l'expert judiciaire et déboute la patiente de ses prétentions. La patiente interjette appel. Elle sollicite une contre-expertise et met également en cause l'Oniam aux fins d'indemnisation.

    L'Oniam se défend en précisant que les seuils de gravité permettant de mettre en œuvre la solidarité nationale ne sont pas atteintes, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les soins et la survenue du cancer et qu'il n'est pas possible de parler d'accident médical fautif ou non fautif.

    Les juges d'appel écartent une fois de plus toute faute de la part des professionnels incriminés en ce qui concerne la réalisation prothétique mise en cause par la patiente. Ils écartent également tout lien de causalité entre la pose de la couronne et la lésion cancéreuse survenue 4 années plus tard : "Dès lors en l'absence de démonstration d'une faute des docteurs [P] et [H] en lien de causalité certain, direct et exclusif avec le préjudice de Mme [A] qui ne peut être que la survenance d'un cancer, c'est à bon droit que le tribunal a débouté l'appelante de ses demandes à l'encontre des deux chirurgiens-dentistes".

    Quant à l'Oniam, le juge rappelle l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique qui dispose que la solidarité nationale ne peut intervenir "qu'au bénéfice de la victime d'un accident médical non fautif, dans l'hypothèse de conséquences anormales, au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci, et en cas de séquelles d'une certaine gravité, ladite gravité était caractérisée par une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique au plus égale à 25%". A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu dès lors que l'accident médical non fautif occasionne des troubles particulièrement graves (article D. 1142-1 du Code de la santé publique). La patiente peut fonder son action à l'égard de l'Oniam à ce titre.

    Toutefois, le juge d'appel précise que pour pouvoir s'appliquer, ces deux articles supposent l'existence d'un accident médical non fautif. Or, l'expert judiciaire n'a pas retenu d'accident médical, fautif ou non fautif. Dès lors, la solidarité nationale ne peut donc s'appliquer. Le jugement initial est confirmé en toutes ses dispositions et la patiente se trouve déboutée de ses prétentions.

  • La victime d'un dommage corporel ne peut prétendre à demander le remboursement des soins ayant conduit à son dommage, au titre des "Dépenses de Santé Actuelles" de la nomenclature Dintilhac.

    Cour d'appel d'Aix-en-provence, Chambre 1-6, Arrêt du 8 décembre 2022, Répertoire général nº 21/17061

    En matière de contentieux judiciaire, le chirurgien-dentiste expert judiciaire est amené à se prononcer sur divers postes de préjudice de la nomenclature Dintilhac. Parmi ces préjudices, les Dépenses de Santé Actuelles (DSA) visent à indemniser la victime directe du dommage corporel de l’ensemble des frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux et pharmaceutiques qu'elle a avancé avant la date de consolidation. Le paiement de la plupart de ces dépenses est habituellement pris en charge par les organismes sociaux, ce qui revient à indemniser la victime des seuls frais qu'elle a dû supporter. Dans le cas de dépenses non couvertes par les organismes sociaux, comme par exemple, les actes d'implantologie orale, la victime peut supporter, seule, des dépenses conséquentes et en demander l'indemnisation au titre des DSA.

    L'expert doit être vigilant lors de l'évaluation de ce poste de préjudice car la victime peut demander le remboursement de frais médicaux qui n'ont rien à voir avec le dommage issu du fait générateur de responsabilité du prestataire de santé.

    Egalement, la victime ne peut prétendre à demander le remboursement des soins ayant conduit à son dommage corporel au titre des Dépenses de Santé Actuelles.

    Dans un arrêt de décembre 2022, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence rejette une demande d'indemnisation au titre des Dépenses de Santé Actuelles (DSA) d'un patient, indemnisation accordée en première instance. En l'espèce, un patient de 76 ans réalise un coûteux traitement implantaire dans un centre de santé dentaire associatif, entre 2015 et 2016. Six implants sont posés, puis une prothèse provisoire. Peu de temps après la pose de la prothèse, quatre des six implants sont perdus (perte d'ostéo-intégration) et il convient d'envisager une greffe osseuse. Le patient change de praticien puis engage une action contentieuse à l'encontre du centre dentaire.

    L'expert judiciaire missionné par le juge civil relève des fautes techniques et un défaut d'information, fautes en lien avec le dommage, ce qui conduit logiquement le juge civil à engager la responsabilité pour faute de l'établissement de santé privé au titre des faits commis par son salarié (article L. 1142-1 du Code de la santé publique). Le montant de l'indemnisation, supporté par l'assureur du centre dentaire, est fixé à 21.900 euros à l'égard de la victime (dont 11800€ de DSA) et 12694 euros à l'égard de la CPAM du Vaucluse.

    En appel, l'assureur tente de minimiser les montants d'indemnisation versés à la victime directe et à la CPAM du Vaucluse. Si le juge d'appel confirme l'indemnisation à l'égard de la CPAM du Vaucluse, indemnisation entrant dans le périmètre des DSA, il écarte l'indemnisation de la victime directe au titre de ce poste de préjudice. En effet, "Malgré la faute imputable au préposé du centre dentaire, le paiement qui a constitué la contrepartie des soins réalisés a correspondu à l'exécution du contrat et ne peut donner lieu à remboursement. Seules les dépenses de santé consécutives aux soins défectueux sont indemnisables. Par suite, [l'assureur] n'est pas tenu au paiement de la somme de 11800 € envers [le patient] Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef."

    On note la mention du terme "contrat", qui rappelle ici que l'établissement de santé privé peut engager sa responsabilité contractuelle à l'égard des patients qui sont pris en charge par les professionnels de santé salariés (par exemple, dans le cas d'un traitement Invisalign non terminé : C.A. Lyon, 6ème, 9 juin 2022, RG n° 21/00505). Ce n'est plus le cas pour les professionnels de santé libéraux, la loi Kouchner du 4 mars 2002 ayant mis fin à la responsabilité contractuelle du professionnel de santé libéral, initialement consacrée par l'arrêt Mercier de 1936.

    Ici, le "contrat" qui unit le patient au centre dentaire correspond aux devis du traitement implantaire engagé, qui a échoué. Malgré cet échec lourd de conséquences, les frais engagés n'entrent pas dans le périmètre des Dépenses de Santé Actuelles et ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation à ce titre, comme le rappel ici le juge.

  • Jurisprudence judiciaire

    Jurisprudence (Dentaire)Octobre 2022

    N'est pas allergique qui veut

    Prétendre une faute de la part d'un professionnel de santé impose de pouvoir la prouver. Illustration avec une prétention d'allergie au nickel-cobalt en chirurgie-dentaire.

    Cour d'appel de Limoges, Chambre civile, Arrêt du 20 octobre 2022, Répertoire général nº 21/00846

    En chirurgie-dentaire, il est - malheureusement - fréquent qu'un patient se dise être allergique, soit à un médicament, soit à un matériau, sans avoir bénéficié de l'avis spécialisé d'un allergologue. Une telle affirmation peut mettre en difficulté le praticien dans ses prescriptions.

    L'allergie au Nickel-Chrome ou au Cobalt constitue une illustration de ce phénomène, qui conduit à des demandes de dépose de couronnes anciennes (et très souvent adaptées) au seul motif qu'elles sont en alliage métallique. Le chirurgien-dentiste doit être particulièrement prudent face à ce type de demandes. Y répondre peut parfois amener plus d'ennuis que de ne pas le faire...

    Dans un arrêt de la Cour d'appel de Limoges d'octobre 2022, une patiente se plaint d'une mauvaise exécution du remplacement, par son chirurgien-dentiste, de trois couronnes métallique en nickel cobalt par des couronnes en titane et en céramique. En l'espèce, le praticien s'était adressé à un laboratoire dentaire pour la réalisation de ces prothèses, puis les avaient posées. Peu de temps après, victime d'une crise d'épilepsie, la patiente avait remis en question les matériaux employés par son chirurgien-dentiste et s'était engagée dans une procédure contentieuse à son égard.

    Le juge a missionné un expert judiciaire, chirurgien-dentiste, qui s'est adjoint le concours d'un sapiteur allergologue-dermatologue. Ce dernier a réalisé des tests qui écartent tout diagnostic d'allergie pour le chrome et le cobalt.

    Au delà de la question de l'allergie, celle de l'imputabilité des actes du chirurgien-dentiste avec son allergie se pose. Le juge retient que, pour démontrer l'existence d'un lien de causalité, il faudrait déposer les prothèses réalisées et les faire analyser, le tout de manière contradictoire (!). Or, la patiente s'y oppose.

    En l'absence de toute volonté, de la part de la patiente, de s'engager dans cette démarche, pourtant nécessaire à la démonstration de la preuve d'une faute commise par le professionnel de santé, le juge déboute la patiente de l'ensemble des prétentions.

    Enfin, le juge rappelle dans ses conclusions que le chirurgien-dentiste n'est pas le fabricant de prothèses litigieuses et n'était "nullement tenu de vérifier personnellement la composition des prothèses dentaires avant de les poser et ce, en l'absence de tout élément de nature à éveiller ses soupçons quant à une possible non-conformité des prothèses fabriquées par le laboratoire [suivant sa prescription]". Une telle affirmation conduit à suggérer que la patiente aurait dû rechercher la responsabilité du laboratoire de prothèse au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux, et non celle du professionnel de santé... Une autre histoire.